| mandelstam o. | | | Не надо сюжета, жизни и её обыденностей ; вверх - переживания и претворения.
Les choses sont superflues, évite la vie et sa banalité ; vise la hauteur, ses transes et ses transfigurations. | | |  | |
| | action | | | Les autres, ceux qui préfèrent la marche à la danse, s'endorment, au pied de cette hauteur ; tu es sûr de n'y croiser que des maîtres compréhensifs ou des anges combatifs. | | | | |
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| art | | | Dans un contexte littéraire, la musique, c'est surtout la musique symphonique, où s'affirme le compositeur-esprit, brille l'interprète-âme et où nos sens sont des instruments ; et je suggérerais que ce n'est pas l'ouïe qui devrait être le plus sollicités de ces instruments, mais le toucher, la caresse. En dernière instance, ce sont nos sens qui devraient animer nos mots. En poésie, ce mouvement se complète, en s'inversant, et devient : « l'écoute réciproque de l'élan et du mot » - Mandelstam - « соподчиненноcть порыва и текста ». | | | | |
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| art | | | Trois conditions nécessaires, pour que l'éternité prête l'oreille à mon message : il doit être sans lendemain, l'aujourd'hui y doit être absent et l'hier constituer la perspective ou le point zéro de mon écriture. Pour un bon interprète, comme pour un bon créateur, « hier n'est pas encore né » - Mandelstam - « вчерашний день еще не родился ». | | | | |
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| art | | | Le talent poétique, c'est l'art de fabrication d'outils servant à fabriquer d'autres outils. « La matière poétique, c'est une auto-réflexivité – une chaîne d'outils, se formant en chemin et s'extrayant les uns des autres, au nom de l'unité du mouvement lui-même » - Mandelstam - « Поэтическая материя, обращаемость, - серия снарядов, конструирующихся на ходу и выпархивающих один из другого во имя сохранения цельности самого движения ». | | | | |
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| art | | | Le vrai commencement, dans l'art, ce n'est pas la cause, mais déjà la musique : « Évanouie la cause première, le son résonne encore » - Mandelstam - « Звук еще звенит, хотя причина звука исчезла ». | | | | |
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| art | | | Je ne suis pas moi-même, en exhibant des choses, leurs places, leurs liens, leurs poids ; je ne me reconnaît que dans l’élan vers ce qui existe bien avant les mots ou les pensées. « On n’arrive à peindre poétiquement que les élans »** - Mandelstam - « Единственное, что поддаётся поэтическому изображению, - порывы ». | | | | |
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| mandelstam o. | | | Поэт бросает в океан запечатанную бутылку с именем своим и описанием своей судьбы.
Le poète jette à l'océan la bouteille cachetée, qui renferme son nom et le récit de son aventure. | | | | |
| | art | | | Les récits s'écrivent toujours dans une platitude silencieuse, et les aventures n'en apportent que du bruit. Il aurait mieux valu, que, dans cette bouteille, on trouvât la musique, musique née de l'angoisse de la profondeur océanique et la joie de la hauteur astrale, musique qui avait lié au mât le navigateur-poète. | | | | |
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| doute | | | Mon étoile m'apprend à bien positionner mes ombres. « Apprends de l'étoile, ce que lumière veut dire » - Mandelstam - « У звезды учись тому, что значит свет ». Dans les ombres des autres, je devine la lumière qui les projette : la cathodique, la forumique ou l'astrale. | | | | |
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| mot | | | Personne ne rit chez Homère ; l'amour, chez Platon, n'est que charnel ; l'enfer de Dante n'est pas plus effrayant qu'un musée minéralogique (où Dante se serait promené en touriste – Péguy ; « les formes et couleurs de la poésie de Dante sont de nature géologique » - Mandelstam - « Стихи Данта сформированы и расцвечены геологически ») - et l'on en garde le rire homérique, la passion platonique, la vision dantesque. Se méfier des adjectifs, cette cinquième colonne du hasard antonomastique. La traîtrise des noms est moins déroutante, quoique vous chercheriez en vain l'âme dans De l'âme d'Aristote (que, bizarrement, vous trouverez dans Cité de Platon), ou la nature dans Sur la nature de Parménide ou dans De natura de Lucrèce, ou la logique dans la Science de la Logique de Hegel. | | | | |
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| mot | | | Rien d'étonnant dans la vision de la poésie comme d'une charrue (Mandelstam) : la poïésis voulant dire labeur, labourage de sillons (versus - vers). La vie étant la terre (le premier humus) retournée par l'homme (le humus second). On retrouve de beaux parallèles avec l'être et la pensée : « La pensée trace des sillons dans le champ de l'être » - Heidegger - « Das Denken zieht Furchen in den Acker des Seins ». Toutefois, l'être et la pensée ne sont que déchéances de la vie et de la poésie. | | | | |
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| mandelstam o. | | | Слово разделяет участь хлеба и плоти : страдание.
Le mot partage le sort du pain et de la chair : la souffrance. | | |  | |
| | mot | | | Les rassasiés du pain et les blasés de la chair l'ignorent. Les esprits les plus sain(t)s souffrent devant le Verbe incurable. La non-assistance aux âmes en danger – les laisser en compagnie des seuls mots anesthésiants. | | | | |
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| mandelstam o. | | | Вокруг вещи слово блуждает свободно, как душа вокруг брошенного, но не забытого тела.
Autour de la chose, le mot tourne librement comme l'âme autour du corps abandonné mais non oublié. | | |   | |
| | mot | | | Seules comptent pour le mot comme pour l'âme - l'orbite, sa hauteur et sa trajectoire ; la chose, c'est la pesanteur, et l'âme, c'est la grâce. | | | | |
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| noblesse | | | Pour couper court à toute velléité d'héroïsme, dis-toi, qu'une histoire humaine sans un seul personnage est aussi réalisable qu'une algèbre sans un seul chiffre. « Notre vie est un récit sans trame ni héros, faite de la vacuité, du chaud balbutiement des digressions » - Mandelstam - « Наша жизнь - это повесть без фабулы и героя, сделанная из пустоты, из горячего лепета отступлений ». Mais si l'héroïsme dans la vie est chimérique, l'héroïsme de la raison, toujours plate, est envisageable : plonger dans la profondeur de l'esprit, devenir seul comme Jacob, ou s'élever à la hauteur de l'âme, devenir Ange, - et vivre de cette lutte. | | | | |
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| noblesse | | | En l'absence des autres, je me place, spontanément, aux extrémités de tous les axes de valeurs ; mais mes superlatifs s'effondrent à toute épreuve du comparatif. Être dans la vie ou dans l'art, parfois, surtout si l'on n'est pas Nietzsche, s'excluent : « Je compare, donc je vis » - Mandelstam - « Я сравниваю — значит, я живу ». Il faut savoir choisir entre le regard et le poids : « Quand je me considère, je me désole ; quand je me compare, je me console » - Talleyrand. Dans considérer, on sent la présence des astres ; dans comparer, gît une égalité des pareils. « Si je me considère, je m'annule » - Valéry. Le soi connu, dont il est question ici, est, en effet, source de nos hontes, il est dans le comparatif ; le superlatif ne s'applique qu'au soi inconnu, dont on dit : « Humble quand je me compare, inconnu quand je me considère »*** - Tsvétaeva. | | | | |
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| proximité | | | Toutes nos émotions naissent du dialogue, mais pourquoi, parmi tous les mortels, le poète, donc l'amoureux, a le contact le plus vibrant avec son interlocuteur ? - parce que celui-ci se trouve dans un lointain inaccessible. « Prends garde des distances : murmurer avec un proche – quel ennui ! » - Mandelstam - « Следует заботиться о расстоянии. Скучно перешёптываться с соседом ». | | | | |
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| proximité | | | Pour S.Weil, la pesanteur et la grâce s'excluent, pour Mandelstam - se complètent : « Vous renvoyez les mêmes signes, sœurs-jumelles, - la pesanteur, la grâce » - « Сёстры тяжесть и нежность ; одинаковы ваши приметы ». Elles sont parallèles, pour St-Augustin : « Ce que la pesanteur est au corps, la grâce l'est à l'âme » - « Quod enim est pondus in corporibus hoc est charitas in spiritibus ». | | | | |
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| russie | | | Une adaptation abusive du jargon de la Révolution russe à celui de la Révolution française : ce vers de Mandelstam : « Apologie absurde du quatrième état [le prolétariat] » - « Присягу чудную четвёртому сословью » - est traduit, en France, par – superbe promesse faite au troisième état. L’horreur devant des barbares démagogues et sanguinaires, transformée en idyllique amendement d’un futur code civil. | | | | |
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| mandelstam o. | | | Нравственная свобода, дар русской земли, лучший цветок, ею взращённый.
La liberté morale, émanation de la terre russe, la plus belle fleur qu'elle ait jamais cultivée. | | | | |
| | russie | | | La liberté, c'est le regard, mais c'est par le geste que germe la maturité ; et c'est un fruit pourri, avant même qu'il soit mûr, que cueille la paresse russe. | | | | |
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| steiner g. | | | The reserves of irony, in Akhmatova, in Mandelstam, in Pasternak, have been preserved in the personal memory. Stalin condemned a poet for having cited Shakespeare, the Prague police killed a philosopher because he had taught secretly Plato.
Les réserves d'ironie d'Akhmatova, de Mandelstam, de Pasternak ont été préservées par la mémoire individuelle. Staline condamnait un poète pour avoir cité Shakespeare, la police pragoise tuait un philosophe, parce qu'il avait clandestinement enseigné Platon. | | | | |
| | russie | | | Pourquoi les voir sous cet angle sinistrement pittoresque ? Ces auteurs sont de la famille de Yeats, Valéry et Rilke. Quand est-ce que vous les envisagerez, comme vous voyez Shakespeare sans Elizabeth, J.Racine sans Louis XIV, Goethe sans le grand-duc de Weimar ? Et c'est bien en Russie soviétique que Shakespeare et Platon eurent les plus gros tirages ! | | | | |
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| solitude | | | Une journée-fraternité, journée de rare intensité : le matin - dans les collines, au-dessus du toit tranquille de Valéry ; l'après-midi - traduire du Mandelstam se fraternisant avec Homère ; le soir - serrer la main fraternelle de R.Debray ; la nuit - suivre l'agonie de J.Ferrat. Dans ma jeunesse moscovite, seul et aux abois, j'écoutais la belle voix de J.Ferrat me chanter la France, celle qui m'attendait. Celle qui vint à ma rencontre, porta le nom de R.Debray, mon frère. Je ne fus jamais moins orphelin, avec ma mère adoptive, la France, qu'en compagnie de ses deux plus belles voix. | | | | |
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| solitude | | | Le fruit invite la famille, l'ami, le collègue ; la fleur n'est à sa place que seule : dans une main d'amoureux, dans une prairie, sur une tombe. La rose n'est à personne - Niemandsrose ou Роза-Никому (Celan et Mandelstam) ; « le rêve de personne sous tant de paupières » - Rilke - « Niemandes Schlaf unter so viel Lidern ». Elle est un climat, elle fait oublier les saisons : « La rose toujours hors saison » - Horace - « rosa sera moretur ». Bref, une rose impossible : « Toujours impossible paraît la rose » - Goethe - « Unmöglich scheint immer die Rose ». | | | | |
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| solitude | | | Dans la solitude, derrière les barreaux de sa cage, tu peux charger ton arbre d’inconnues, tournées vers ton désert et non pas vers le jardin des autres ; et tes fleurs doivent fuir tous les bouquets. Évite les cellules collectives : « Tantôt la fleur, tantôt le jardinier, et jamais seul au train caravanier » - Mandelstam - « Я и садовник, я же и цветок, в темнице мира я не одинок ». | | | | |
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| cocteau j. | | | Le poète est un mensonge, qui dit toujours la vérité. | | |  | |
| | vérité | | | « La poésie est la conscience de sa vérité » - Mandelstam - « Поэзия есть сознание своей правоты ». Le poète a toujours raison ( J.Ferrat), ou il a des raisons, que les autres ignorent. « Tout mon pas est mensonge, mais c'est la vérité qui me met en marche »** - Dostoïevsky - « Пусть это лжи, но движет нас правда ». L'art est invention de nouvelles grammaires ; pour qui l'ignore, la nouvelle poésie est une erreur ; pour qui s'en enivre, la vérité est adhésion. Ex vero quod licet ; ex falso quod libet ! Le poète falsifie le mensonge avec tant de liberté et d'autorité, qu'on y adhère. Avoir une conscience de poète, « s'élevant forcenément dans le Rêve, proclamant devant le Rien, qui est la vérité, ses glorieux mensonges » - Mallarmé. Un beau mensonge est une vérité enivrante, un mentir-vrai (Aragon), me mettant en danse, en transe : « Si la vérité ne vous enivre pas, n'en parlez point » - J.Green. Aristote fut le premier à préférer une vérité prosaïque à l'amitié d'un poète - l'une des premières goujateries des raisonneurs. | | | | |
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