confucius
Trois voies mènent au savoir : la réflexion - la voie la plus noble, l'imitation - la voie la plus facile, l'expérience - la voie la plus amère.
C'est une vision tri-viale de ce qui s'acquiert le mieux hors tout circuit : dans des impasses ou ruines, où la marche n'a pas beaucoup de sens, mais la danse donne un noble et difficile vertige. Que la noblesse y soit amère, l'amertume, au moins, y est noble.

platon
Le savoir ne consiste pas à mettre la vue dans l'organe, puisqu'il la possède déjà, mais, comme il est mal tourné et regarde ailleurs, il en ménage l'accommodation.
Avoir sa propre accommodation, c'est avoir son regard, qui est au-dessus de la vue. L'intelligence suffit, pour l'approfondir, mais pour le rehausser, on a besoin de noblesse. Ne pas se focaliser sur des choses indignes – telle est la fonction des contraintes, que l'âme doit ériger. Quant aux buts, - se tourner du côté des firmaments avec plus d'élan que vers les horizons.

pyrrhon
Notre requête sceptique ne porte pas sur la représentation, mais sur l'interprétation de la représentation.
Cette requête est surtout formulée en un langage hors représentation (et la philosophie analytique ne s'intéresse qu'à cela) ; en plus, il y a deux interprétations presque disjointes, linguistique et conceptuelle, que tous confondent. Pour vous, la représentation est dans le sensible, dans le phénoménal, tandis qu'elle ne peut exister que dans l'intelligible, dans le nouménal.

plotin
Il faut être au moins deux pour signifier, et le sens, entre les deux, en fait un troisième.
Naïf et génial ! C'est ainsi que naît le sens en Intelligence Artificielle, tandis que tout le bavardage du signifiant/signifié réduit cette belle triade à quelque chose de monolithique, algorithmique et … réel. Le sens est le résumé irréel d'un dialogue. L'interpellant et l'interpellé ont beau être, le plus souvent, le même homme, ce sont deux machines différentes qui tournent. La vraie machine maîtrisera un jour tous les rouages du signans et signatum (St-Augustin), mais seul l'homme peut manipuler organiquement leurs mélanges contre nature.

thomas d'aquin
Nihilominus tamen compositionem et divisionem enuntiationum intelligit, sicut et ratiocinationem syllogismorum, intelligit enim composita simpliciter.

Le besoin de la composition logique, de la division ou de détour inférentiel tient à la faiblesse de l'esprit humain.
C'est pourtant sur cette faiblesse que l'homme se pencha si fort qu'il s'éloigna dangereusement de l'ange et se rapprocha outrageusement du robot. Être robot, c'est, en toute occasion, suivre la métronomie de la vérité, ne pas entendre la musique alogique du rêve et proclamer, docte et bête : « Je préfère être un diable en pacte avec la vérité qu'un ange en pacte avec le mensonge » - Feuerbach - « Ich bin lieber ein Teufel im Bunde mit der Wahrheit, als ein Engel im Bunde mit der Lüge ».

thomas d'aquin
Intellectus cognoscit quod quid est non solum definitiones, sed etiam enuntiabilia.

L'intellect forme des objets de deux sortes : définitions et énonciations.
Des idoles magiques et des formules logiques, un monde arbitraire et ses implacables requêtes hors toute langue. L'indépendance mutuelle rend souverains et le géniteur d'un nom enraciné et le locuteur d'un verbe désincarné. Et tout le reste est littérature, appel au mot.

montaigne m.
Mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine.
Une tête bien faite est celle qui, pour atteindre un but, a besoin d'un minimum de mémoire et de recherches et d'un maximum de subtilité et de vitesse. Équilibre entre fin et frein, entre interprète et organisation. Toutes les têtes, aujourd'hui, sont pleines de vétilles, cohérentes et monolithiques, tandis que ce qui est digne d'y être préservé, ce sont quelques étincelles, images éparses, fragments de monuments. Garder quelques zones vides, pour y recevoir la musique du monde.

montaigne m.
Il faut s'enquérir qui est mieux savant, non qui est plus savant.
L'avantage équivoque de la verticale, face à l'horizontale. La vie des Terriens se moque des nues et des nappes et se fie aux surfaces.

descartes r.
Je ne me fie quasi jamais aux premières pensées qui me viennent.
Ta grande méprise fut d'appliquer ce sage réflexe - aux sentiments, où seuls les premiers valent la peine d'être savourés en tout abandon. Et si l'on avait la sagesse de s'arrêter sur la seconde pensée ! Mais après la n–ème, on ne s'occupera que des liaisons entre pensées ; le bourrage remplacera le pesage.

gracián b.
No todos los que ven han abierto los ojos, no todos los que miran ven.

De ceux qui voient, il y en a qui n'ont pas ouvert les yeux ; de ceux qui regardent il y en a qui ne voient pas.
Ce qui vaut d'être vu ne se trouve pas toujours du même côté des paupières. Ne possèdent le vrai regard que ceux qui n'ont pas que les yeux pour voir. La qualité de ce qu'on daigne voir dépend si fortement de nos œillères, de nos bonnes contraintes.

spinoza b.
Ordo et connectio idearum idem est ac ordo et connectio rerum.

L'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses.
L'une de ces inepties dont grouille le spinozisme ! Ici – une assimilation, aussi absurde que la désassimilation entre le corps et l'âme. Dans la réalité, il n'y a que des choses ; dans la représentation, il y a des objets et des relations ; dans le langage, ce porte-parole des idées, les connexions sont de nature langagière ou représentative – rien à avoir avec les choses réelles. Et le corps, qui jouit ou souffre, peut déterminer l'âme à penser, et l'âme, qui évalue ou s'élève, peut déterminer le corps à bouger – contrairement à ce qu'édicte ce charlatan du Nord.

voltaire f.-m.
L'instinct, c'est tout sentiment et tout acte qui prévient la réflexion.
L'instinct est la réflexion câblée, qui prévient la réflexion explicite ! Dans celle-là, on ne voit pas le mécanisme, silencieux et mieux huilé que dans celle-ci, aux syllogismes nus. Le réflexe intervient pour se passer de réflexion. La réflexion banale est inductive, elle se résume en réflexes ; mais la réflexion la plus subtile – et irremplaçable – est abductive : seul le qui, au-dessus du quoi, peut justifier les pourquoi et comment.

kant e.
Die Vernunft wird durch den Hang ihrer Natur getrieben, sich in einem reinen Gebrauch zu den äußersten Grenzen aller Erkenntnis hinaus zu wagen, Ruhe zu finden.

La raison est mue par son penchant naturel d'avoir une audace pure d'aspirer aux dernières limites du savoir et d'y trouver la paix.
Tout cela est fortement douteux : il faut choisir l'axe, qui t'attire le plus - l'étendue, la profondeur ou la hauteur ; quant à cette misérable paix, gagnée à coups de connaissances, je lui préférerais une docte ignorance, qui m'apporterait davantage de vertiges. L'espérance des indoctes vaut plus que la suffisance des doctes (à l'époque, où l'on croisait encore quelques sages dépenaillés, Démocrite prêtait l'espérance - aux doctes, et la suffisance - aux indoctes).

kant e.
Was kann ich wissen ? Was soll ich machen ? Was darf ich hoffen ?

Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Qu'est-ce que j'ose espérer ?
Toutes les combinaisons verbales (neuf !) sont intéressantes. Par exemple : le Père peut, le Fils doit, l'Esprit ose - est bien connu. Plus frais serait : la perception ose, la représentation doit, l'interprétation peut. Mais ton ordre, à toi, montre que ni la raison pure (le savoir) ni la raison pratique (le faire) ne touchent à la raison d'espérer (le rêve), qui brille, chez toi, par son absence.

kant e.
Ich kann, weil ich will, was ich muß.

Je peux car je veux ce que je dois.
Une magnifique concision, pour décrire la meilleure cohabitation de la liberté, du désir et du destin !

kant e.
Zum Erlebnisse : erstlich der Begriff, dadurch ein Gegenstand gedacht wird, und zweitens die Anschauung, dadurch er gegeben wird.

La connaissance suppose : d'abord le concept, pour lequel l'objet est pensé, et ensuite le regard, par lequel il est donné.
Ce regard est une espèce de mémoire du réel, qui justifie le concept et valide l'idée. Penser introduit le mot et l'image, qui peuvent soit précéder soit suivre le regard. Penser, c'est peindre le connaître. Connaître, c'est éduquer le penser.

kant e.
Alles Denken ist nichts anderes als ein Vorstellen durch Merkmale.

Penser, ce n'est jamais que représenter par signes.
Ce qui exclut le désir, l'image d'un objet, la recherche de sa référence langagière, la constitution d'une formule logique, son interprétation, la recherche du sens des substitutions - cette pensée est du niveau d'une programmation informatique.

lichtenberg g.
Es ist mit dem Witz wie mit der Musik, je mehr man hört, desto feinere Verhältnisse verlangt man.

Il en est de l'esprit comme de la musique ; plus on l'écoute, plus on exige de subtiles nuances.
Le bel esprit est un contrapuntiste multipliant des accords paradoxaux de sentiments et de pensées. « La musique est un intermédiaire entre la vie de l'intelligence et celle du sentiment » - Beethoven - « Musik ist Vermittlung geistigen Lebens zum sinnlichen » - tout en restant au diapason de la profondeur insondable de la première et de la hauteur inaccessible du second. La musique nous apprend, qu'on peut penser sans mots et sentir sans caresse.

lichtenberg g.
Nicht zu sagen Hypothese, noch weniger Theorie, sondern Vorstellungsart.

Ne parle pas d'hypothèses, encore moins de théories, mais de mode de représentation.
Tout raisonnement n'est peut-être que des enchaînements de représentations (« La pensée est une représentation » - Heidegger - « Der Gedanke ist eine Vorstellung »). Ou, au contraire, toute représentation n'est que résultat des réinterprétations volontaristes (comme le pense Nietzsche, et que Schopenhauer oublie d'ajouter à volonté et représentation) ; la volonté arbitraire et la représentation fatale se courent derrière : « Le destin fut impérieux avec moi, mais plus impérieuse encore fut ma volonté » - Nietzsche - « Das Schicksal war herrisch zu mir, aber herrischer war mein Wille ». Un trait subtil, représenter les mondes hypothétiques, où germent la volonté de renaissance et la représentation de commencements.

goethe j.-w.
Das Genie kommt mir vor wie eine Rechenmaschine : die wird gedreht, und das Resultat ist richtig ; sie weiß nicht warum.

Je vois le génie comme un ordinateur : il tourne et sort le bon résultat, sans savoir pourquoi.
L'ordinateur sait de mieux en mieux ses pourquoi, c'est le qui du génie qui devint introuvable. Les quoi encombrent les bras et les cerveaux ; les raisonnements et sentiments binaires rendent superflues toute métaphore ou toute analogie non plates.

goethe j.-w.
Da grau, mein Freund, ist alle Theorie,
Und grün des Lebens ew'ger Baum.

Mon bon ami, la théorie s'effeuille,
Sempervirent est l'arbre de la vie.
On sait où mène la pratique, en fait d'arbres : le Bouddha, Éden ou le marché de gros en savent quelque chose. Tout arbre est une belle théorie, dont les fleurs poussent, quand on maîtrise les racines, tout en aspirant aux cimes. La théorie est grise, mais les cendres et la poussière le sont davantage. La théorie fait sortir des saisons et habiter un climat, concilier la fleur d'avec le fruit, la racine d'avec les cimes, la feuille d'avec les ramages, la lumière d'avec les ombres.

maistre j.
Le chef-d'œuvre de raisonnement est de découvrir le point, où il faut cesser de raisonner.
Le sot, chancelant et labile dans ses raisons, y voit la justification humoristique de ses charabias. Le sage sait, que raisonner ironiquement, c'est changer de langage (aux points de chefs-d'œuvre).

maistre j.
Matérialiser l'origine de nos idées est le résultat le plus avilissant pour l'esprit humain.
Les déclarer innées ne les élève pas très haut non plus. Leur premier pas n'est ni dans notre nez ni dans nos gènes, il est dans la noblesse de notre regard, orienté par le hasard divin.

joubert j.
L'esprit est l'atmosphère de l'âme. La pensée se forme dans l'âme comme les nuages se forment dans l'air.
Cette atmosphère, le plus souvent, interdit toute éclosion de vies hautes et toute pénétration par la lumière des astres. Elle saisit, sans envelopper de caresses ; elle étale, sans développer de largesses. Et, en mettant les choses au mieux, ne fait qu'arroser la montagne de mots, comme le chien des meutes honore l'arbre solitaire. Le rêve impossible : l'âme comme l'esprit enchanté, l'esprit comme l'âme concentrée.

joubert j.
Tant qu'on a la force de se plaindre de la faiblesse de son esprit, l'esprit a de la force.
Regretter la force exclusive de son esprit est encore plus prometteur - on peut découvrir, en passant, l'existence de son âme, à la faiblesse vivifiante. « L'amour, c'est pouvoir être faibles ensemble » - Valéry. Comme l'intelligence ou la sagesse, ayant atteint de lumineuses profondeurs, s'élancent, au moment bien choisi, vers des hauteurs sombres, bêtes ou folles.

joubert j.
Il vaut mieux remuer une question, sans la décider, que la décider, sans la remuer.
Remuer une question, c'est d'y introduire un maximum de variables, pour des unifications futures. La décision d'une question mal remuée ne contient que de la plate vérité.

chateaubriand f.-r.
L'homme s'appauvrit en pensées dans la mesure qu'il s'enrichit en sentiments.
Poète, riche en émotions inéchangeables, frappe sa propre pensée, en valeur d'échange ; à charge aux autres de la convertir en biens du cœur. La pensée la plus savante, dépourvue d'empreinte poétique, se range vite parmi la poussière des musées ou bibliothèques. Le sentiment le plus naïf laisse dans le cœur tant de notes, que seule une pensée pénétrante peut extraire.

hegel g.
Das Philosophieren, das sich nicht zum System konstruiert, ist eine beständige Flucht vor den Beschränkungen, ein Ringen nach Freiheit.

Philosopher, sans former de système, est une fuite devant des contraintes, une lutte pour la liberté.
Formuler des contraintes, plutôt que des buts, est signe d'une intelligence supérieure. Plus les contraintes sont fortes, plus à l'aise s'y sent le talent. La paix d'âme, cette liberté acquise, est un réquisit systémique minable. La philosophie, c'est le commencement ; le reste est retour du même.

hegel g.
Genie ist ein Mensch, der die meisten Gegensätze versöhnt.

L'homme de génie est celui qui réconcilie le plus de contraires.
En nombre de contraires réconciliés l'homme de génie ne dépasse pas n'importe quel badaud. Mais il les aborde simultanément et en langages différents (l’art des paradoxes), tandis que le goujat ânonne toujours dans un même idiome, mais aux moments différents (la non-maîtrise des contradictions). « Le génie, ami des paradoxes, et le hasard, dieu inventeur » - Pouchkine - « Гений, парадоксов друг, и случай, бог изобретатель » - l’heureux hasard des poètes s’appelle inspiration.

hegel g.
Dem Ziele der Philosophie ihren Namen der Liebe zum Wissen ablegen zu können und wirklich das Wissen zu sein.

Effacer ce nom d'amour de savoir, collé au but de la philosophie, pour y inscrire un savoir réel.
Que tu appelleras savoir absolu, où l'on chercherait en vain du savoir ou de l'absolu (comme dans la Science de la Logique - qui aurait dû s'intituler Logos et Épistémè – Discours et Savoir – Von der Vernunft zum Verstand - on ne trouve ni science ni logique). La philosophie n'a que deux buts : la consolation du mortel, et la démarcation de valeurs entre la réalité, le langage et la représentation. Le savoir est affaire des experts ; le philosophe n'a besoin que d'intelligence et de talent.

hegel g.
Die Tiefe des Geistes ist nur so tief, als er auszubreiten und sich zu verlieren getraut.

La profondeur de l'esprit vaut par son audace de s'étaler et de se perdre.
Quand je vois le résultat de cette déperdition et de cet étalage - l'immense platitude -, je comprends l'avantage de la hauteur d'âme, qui a l'audace de se moquer de la profondeur, si facilement aplatissable. La hauteur de l'esprit vaut par l'élégance de se métamorphoser en âme.

hegel g.
Was ist wohlbekannt ist nicht bekannt.

Ce qui est bien connu n'est pas connu.
C'est, une fois de plus, un problème de câblage : dès que le comment est enfoui, caché dans un interprète câblé, il ne s'agit plus de connaissance, mais d'exécution (tel l'art militaire ou l'art tout court ! ). Connaître, c'est accéder intelligemment aux attaches des connaissances sans nécessairement les déclencher.

novalis f.
Die Philosophie ist eigentlich Heimweh, ein Trieb, überall zu Hause zu sein.

La philosophie est, au fond, une nostalgie, un besoin pulsionnel d'être partout chez soi.
Le philosophe est celui qui n'accepte pas les valeurs des pièces étrangères ; en les réévaluant, il cherche à leur imprimer sa propre effigie. Redécouvrir les modes d'échange, partir du point zéro du regard, point commun des exilés et des philosophes. Voir dans l'émission plus de sens que dans la commission. Valéry, irrité par l'absence, en philosophie, de buts clairement formulés, ne comprit pas que la bonne philosophie est plutôt la contrainte d'avant le premier pas que le but d'après le dernier, frein avant fin.

novalis f.
Jede Wissenschaft, Philosophie geworden, wird Poesie.

Toute science devient poésie, une fois devenue philosophie.
Et toute philosophie perd sa poésie substantielle en aspirant à devenir science formelle. La philosophie – l'art de voir au-delà des mots ; la poésie – l'art de traduire le regard en mots.

novalis f.
Je reiner der Geist ist, desto heller, feuriger das Leben.

Plus pur est l'esprit, plus lumineuse et plus ardente sera la vie.
L'esprit ne fait que choisir les matières, dont se nourrit mon feu sténophage, les lumières, que refléteront mes ombres, et le lieu, où seront déposées mes cendres. C'est l'esprit qui procure aliments et excitants, pour que mon feu intérieur soit pur et mes ombres extérieures - puissantes. De la rencontre, impossible sur Terre, de la pureté et de l'intensité naît la hauteur ; sur Terre, on dit : « Qu'y a-t-il au monde de plus contraire à la pureté ? La recherche de l'intensité » - S.Weil.

schlegel f.
Verstand ist mechanischer, Witz ist chemischer, Genie ist organischer Geist.

L'intelligence est la raison mécanique, l'esprit - chimique, le génie - organique.
L'organique et le chimique se traitent, aujourd'hui, comme jadis le mécanique ; notre milieu robotique leur adresse le même respect pragmatique. Toutefois, la plupart des organismes devinrent déjà mécanismes, pour reproduire le bruit ambiant : « Tout organisme est une mélodie, qui se chante elle-même »** - Merleau-Ponty.

byron g.
Those who will not reason, are bigots, those who cannot, are fools, those who dare not, are slaves.

Les fanatiques ne veulent pas raisonner, les imbéciles ne peuvent et les esclaves n'osent.
Aujourd'hui, tout le monde veut, peut et ose. Le sot n'est plus ni esclave ni fanatique, et sa raison, sous forme d'un mode d'emploi, est librement acceptée, même par les sages.

schopenhauer a.
Daß die niedrigste aller Tätigkeiten die arithmetische ist, wird dadurch belegt, daß sie die einzige ist, die auch durch eine Maschine ausgeführt werden kann. Danach bemesse man den mathematischen Tiefsinn.

Que la plus basse des facultés est l'arithmétique, se confirme par le fait qu'elle soit la seule à être reproduite par la machine. Voilà la prétendue profondeur de la pensée mathématique.
Aucune matière, de versification à théologie, n'échappe plus à la machine, comme jadis à la plume. Il s'agit d'avoir une bonne hauteur de plume et de ne pas être terrorisé par la profondeur des porte-plumes. La mathématique a l'avantage de ne manipuler que des objets-fantômes, avec des outils divins.

hugo v.
Changez de feuilles, gardez les racines.
Le déracinement m'appartient, d'autres m'effeuillent. Les fleurs me payent les cimes. L'homme est un arbre, irréductible ni à la feuille ni à la racine ; « les hommes sont semblables aux feuilles des arbres » - Homère - c'est grâce à ces feuilles d'inconnues qu'ils réussissent des unifications fécondes !

emerson r.w.
The invariable mark of wisdom is to see the miraculous in the common.

Voir du miraculeux dans du banal est toujours un signe de sagesse.
Mais si tu n'es pas capable de ne plus voir le visible, ce signe sera rattrapé illico par la bêtise, qui réduira le miraculeux au banal. Le poète, serait-il le seul porteur de la vraie sagesse, celle de l'omniprésente merveille.

tolstoï l.
Знание смиряет великого, удивляет обыкновенного и раздувает маленького человека.

Avec le savoir, le grand homme devient plus humble, l'ordinaire - plus étonné, le petit - plus arrogant.
Plus on est grand, plus petits paraissent tout acquis côté tête et toute perte côté pieds.

renan e.
Il m'a fallu les langues sémitiques et la critique allemande pour aboutir aux mêmes conclusions que Gavroche.
Les plus belles avancées se réalisent à travers les contraintes respectées, - et tout savoir vaut surtout en tant que contrainte - le tour de passe-passe de l'artiste est dans un bel arrêt sur l'avant-dernier pas, juste avant la conclusion, ce baroud d'honneur.

dostoïevsky f.
Меж нами, в наших сношениях, одни знаки, словно в твоей алгебре.

Entre toi et moi, il n'y a que des signes, comme dans ton algèbre.
Le rôle des signes des Maîtres est plutôt de peindre les beaux chemins d'accès aux choses, plus que de narrer les choses elles-mêmes. L'un voit dans ces signes - de vastes arbres aux branches couvertes de belles inconnues, et l'autre - de banales constantes : chiffres ou choses. Même unifié, l'artiste a beaucoup de fusions à offrir, il lui reste toujours autant d'inconnues.

dostoïevsky f.
Ум — подлец, а глупость пряма и честна.

L'intelligence est fourbe ; la bêtise – franche et honnête.
La différence est celle entre un sentier battu et des voies obliques ; se perdre comme danseur, en marchant avec les autres, ou se perdre comme marcheur, en dansant devant les étoiles.

france a.
Pour digérer les connaissances, il faut les avaler avec appétit.
Surtout quand elles se mettent au travers de la gorge. Une déchirure, au niveau des cordes vocales, vaut bien une indigestion cérébrale due aux bouillies trop claires. « On doit goûter certains livres, en avaler d'autres, mâcher et digérer les troisièmes »** - F.Bacon - « Some books are to be tasted, others to be swallowed, and some few to be chewed and digested ».

france a.
Les philosophes savent que les poètes ignorent la pensée et cela les désarme et fascine.
Car le vrai philosophe n'ignore pas le sort titubant de ses constructions pseudo-logiques éphémères, et il admire le poète, qui érige le même édifice uniquement par un bel élan du mot. Les châteaux en Espagne du poète s'avèrent plus intelligibles que les casernes philosophiques, qui, d'aveu même de leurs habitants, ne sont, dans le meilleur des cas, que des châteaux de cartes. La pensée accompagne plus volontiers une image qu'un échafaudage.

nietzsche f.
Dem Werden den Charakter des Seins aufzuprägen.

Imprimer au Devenir le caractère de l'Être.
Ce qui persiste dans le devenir (« das Bleibende im Werden » - Heidegger) est ce qui n'existe pas ; on peut donc le nommer, à bon droit, Dieu ou Être. Mais l'Être n'est que le Devenir de l'esprit en exil, et le Temps est peut-être l'être du Dieu déchu. L'Être - la puissance de la volonté ; le Devenir - la volonté de puissance. Allant à leur rencontre, l'un vers l'autre, ils se muent, respectivement, en l'étant et le devenu, ces synonymes. Le devenir, ayant atteint le caractère de l'être, s'appelle création ; l'intensité expressive en fait une œuvre d'art. Quand on comprend, que l'intensité maîtrisée est le point final des pérégrinations du savoir et de l'intelligence, on vit l'éternel retour du même (on renonce au changement, à la négation, on est dans l'acquiescement cosmique).

nietzsche f.
Die tiefsten Bücher werden immer etwas von dem aphoristischen Charakter haben.

Les livres les plus profonds garderont toujours quelque chose du genre aphoristique.
La profondeur perçue résulte des hauteurs conçues. Et les aphorismes sont des hauteurs, qui, contrairement aux profondeurs, ne se touchent pas – le style interrompu (La Bruyère). « L'homme au souffle immensément long, acceptant la contrainte des propos les plus courts » - Canetti - « Ein Mensch von ungeheuer langem Atem, der sich zu kürzesten Sätzen zwingt  ». Ce genre vous oblige à dévoiler votre hauteur ; à une bonne hauteur, viser la profondeur peut dispenser de l'atteindre. « L'aphorisme n'a quoi faire de la vérité, mais il doit la survoler » - K.Kraus - « Ein Aphorismus braucht nicht wahr zu sein, aber er soll die Wahrheit überfliegen ».

nietzsche f.
Es gibt keine Fakten - nur Interpretationen.

Il n'y a pas de faits, rien que des interprétations.
Pour toi, les faits seraient une espèce de vérités absolues. Mais les faits font partie d’une représentation et non pas de la réalité. On interprète les discours ; le discours ne contient que des références d’objets ; tout objet se réduit aux faits – interpréter sans faits, c’est représenter sans objets – absurde ! Ce qui vaut pour l’homme vaut, également, pour la machine intelligente, qui est impuissante sans les faits. De mieux en mieux câblés, les résultats de l'herméneutique deviennent des faits de plus.

nietzsche f.
Die Philosophie ist eine Kunst in ihren Zwecken und in ihrer Produktion. Aber das Mittel, die Darstellung in Begriffen, hat sie mit der Wissenschaft gemein.

La philosophie est un art dans ses fins et sa production. Mais le moyen, la représentation en concepts, elle l'a en commun avec la science.
Les concepts irriguent, avec la même densité, les balivernes et les sagesses ; la science n'a aucun rapport avec la philosophie, qui a pour vocation de munir de musique et nos angoisses et nos savoirs.

rimbaud a.
Je pense : on devrait dire on me pense. Tant pis pour le bois, qui se trouve violon.
La seule pose, qui autorise de dire je suis, serait, donc, celle d'un traducteur ou d'un interprète, mais non de choses visibles ou de causes intelligibles, qui, toujours, se valent quoi qu'en pense Montaigne : «  ils laissent les choses et courent aux causes » ; quelle que soit leur cible, sans bonne pose, sans être ramenards, ils n'arriveront qu'aux positions ou postures grégaires.

wilde o.
Nothing that is worth knowing can be taught.

Rien de ce qui vaut d'être su ne peut être enseigné.
Enseigner, c'est se servir de vases communicants. Savoir, c'est fabriquer des vases. Pourquoi le savoir du savoir n'existerait-il pas ? « Le génie est le don d'atteindre ce qui ne peut être ni appris ni enseigné »** - Kant - « Genie ist das Talent der Erfindung dessen, was nicht gelehrt oder gelernt werden kann ». Une nette exception à cette règle est la vérité, quoiqu'en dise H.Hesse : « On vit la vérité, on ne l'enseigne pas » - « Die Wahrheit wird gelebt, nicht doziert ». Et la charge de St-Augustin : « Et puisqu’ils ne croient ni n’enseignent rien, on les appelle nihilistes » - « Nihilisti appellantur, quia nihil credunt et nihil docent » - n’est qu’un compliment au nihiliste, qui crée sa propre foi, au lieu de croire celle des autres.

wilde o.
I know pretty well that we live in an epoch, when only fools are taken seriously, and I live in terror of not being misunderstood.

Je sais trop que nous vivons dans un siècle, où l'on ne prend au sérieux que les imbéciles, et je vis dans la terreur de ne pas être incompris.
Comprendre, c'est prendre au sérieux ; le contraire s'appellerait aimer. Valery, qui vivait entre « la crainte de n'être pas compris et la terreur d'être compris », s'éclairait du même paradoxe.

bergson h.
L'intelligence, dans ce qu'elle a d'inné, est la connaissance d'une forme, l'instinct implique celle d'une matière.
Les deux sont des mystères, que tu as cherché à dégrader : « L'instinct et l'intelligence représentent deux solutions élégantes d'un seul problème ». L'instinct est une vraie intelligence, celle d'un acte aveugle, ne tenant à se justifier qu'a posteriorii ; il est une connaissance a priori. La forme est une connaissance a posteriori, bien que Platon pense l'inverse.

bergson h.
L'intelligence, c'est l'art de créer des objets artificiels, surtout des outils pour fabriquer des outils.
C'est encore un moyen rêvé de rester dans l'inutile fécond. « L'intellect saisit facilement les méthodes et outils, mais il est aveugle, face aux buts et valeurs »* - Einstein - « Der Intellekt hat ein scharfes Auge für Methoden und Werkzeuge, aber er ist blind gegen Ziele und Werte ».

mallarmé s.
Signifier, fonction du numéraire facile et représentatif.
Tu vois mal la place du langage. Signifier, c'est interpréter dans un langage, bâti sur une représentation. L'infini du langage et l'infini des interprétations rendent secondaire le rôle de la représentation.

unamuno m.
Otros piensan con todo el cuerpo y toda el alma, con la sangre, con el tuétano de los huesos, con el corazón, con los pulmones, con el vientre, con la vida. Y las gentes que no piensan más que con el cerebro, dan en definidores.

D'autres pensent avec tout le corps et toute l'âme, avec la moelle des os, avec le cœur, avec les poumons, avec le ventre, avec la vie. Et les gens, qui ne pensent qu'avec le cerveau, donnent des définitions.
Le ventre songeur, la moelle des os ployée sous le poids des syllogismes, le corps éructant quelques métaphores mal digérées - non, au pays du verbe je suis contre la république et pour la tyrannie du cerveau.

claudel p.
Pour connaître la rose, quelqu'un emploie la géométrie et un autre emploie le papillon.
D'autres encore font parler le nez, les yeux ou l'âme. La rose se donne à la connaissance (« Parmi les piqûres que t'inflige le présent, voir dans la raison - une rose » - Hegel - « Die Vernunft als die Rose im Kreuze der Gegenwart zu erkennen »), en se fanant : « Un nez trop approché anéantit la rose »* - R.Browning - « Any nose may ravage with impunity the rose ».

claudel p.
La faiblesse de la mathématique : elle manipule des entités abstraites et non pas réelles.
Mal t'en prit, toi, qui touchas à la plus grande des abstractions, Dieu ! Ne comprends-tu donc pas, que Dieu est ce principe, qui rend les abstractions possibles et étrangement cohérentes avec la réalité ? Qu'on appellera réminiscences platoniciennes ou ressouvenirs cartésiens.

claudel p.
La poésie ne plonge pas dans l'infini, pour trouver du nouveau, mais au fond du défini, pour y trouver de l'inépuisable.
Dans vos fichues profondeurs, qu'elles soient infinies ou définies, on ne tombe que sur des cloaques irrespirables. C'est dans la hauteur solitaire qu'on respire de l'éternellement nouveau, en s'enveloppant de son vide inépuisable.

valéry p.
L'intelligence nage en tenant la poésie hors de l'eau.
Avec des convulsions des mots flotteurs ! Les idées sont des barques au service du nageur ; les mots ne sont que des bouées au service de l'étoile.

valéry p.
Approfondir une pensée, c'est l'éprouver par des rôles de plus en plus difficiles.
En plus, ses passages devraient être si radicaux, qu'au lieu d'admirer la pensée on se mettrait à admirer le langage du nouveau rôle. On ne peut pas être un grand acteur, si l'on ne convainc que dans un seul rôle.

valéry p.
Toute philosophie, où le mot vie est explicateur, est nulle.
J.Benda t'accuse d'en être l'un des adeptes. La vie, cet implexe hors logique, cette instase sans Dieu, a peut-être sa place dans la philosophie extatique en tant que implicateur.

valéry p.
L'imbécile est celui qui n'a pas l'idée de se servir de ce qu'il possède.
Des trois chambres de trésor, que Dieu a mises en nous - l'âme, le cœur et la raison - seule la dernière est indiquée en chiffres lumineux, jolis taux d'intérêts. D'où le déficit chronique dans les échanges avec deux autres.

valéry p.
L'esprit est absurde par ce qu'il cherche, et grand par ce qu'il trouve.
Il cherche l'idée et ne trouve que le langage. L'idée n'est qu'un projet, les mots sont des objets naissant des contraintes et ne devant pas grand-chose à l'idée.

valéry p.
Ma philosophie ne tend qu'à représenter et à tenter de voir ce qu'une représentation suggère de changer dans les valeurs et les connexions.
C'est la définition même du modèle  ! Qui est non-langage, au-dessus de la vie-réalité. Aujourd'hui, tu serais cogniticien ! Comme Aristote et Kant !

valéry p.
La meilleure philosophie est celle qui nous apprendrait à mettre tout problème en équations.
C'est-à-dire avec des variables dont on connaît d'avance les domaines de valeurs. Il suffit de chercher de bonnes substitutions. Le sot n'a besoin que d'égalités.

valéry p.
Parfois je pense, et parfois je suis.
Penser, c'est voir naître en images (pour Descartes, c'est entendre, vouloir, imaginer) ; être, c'est concevoir sans images.

valéry p.
N'invente pas, quand il suffit de savoir.
Le savoir suffit, dans les affaires les plus banales de mon existence sociale. L'invention la plus précieuse ne vise que mes propres productions immatérielles. On invente, lorsque on tient à la qualité de cheminement et de contraintes.

morgenstern ch.
Der Baum wartet nicht bloß auf unsere Erkenntnis ; er wirbt mit seiner Weisheit aller Enden um Verständnis.

L'arbre vaut plus que notre connaissance ; dans sa sagesse achevée, il s'attend à l'entente.
Le stade final de ton arbre complice - le banc des accusés, la croix.

suarès a.
Le bonheur de vivre : donner toute sa musique à la pensée.
Toute musique, qui court après la pensée, est en-dessous de tout syllogisme. Celui qui a de la musique intérieure et qui la laisse partir dans la nature découvre, médusé, que d'étranges et aériennes pensées se mettent à l'accompagner et la munissent d'ailes.

gide a.
La science ne progresse qu'en remplaçant partout le pourquoi par le comment.
Le quoi inépuisable est chasse gardée de la philosophie, les et quand imprévus - de l'art.

gide a.
Il n'y a pas de problème, il n'y a que des solutions. L'esprit de l'homme invente ensuite le problème.
C'est vrai, le meilleur cycle est : mystère, problème, solution, mystère. Une fois la solution sous la main, l'homme aurait dû retourner au mystère au lieu de faire du sur place avec des problèmes. Remarquez qu'on n'est pas invité ici à ne vivre que de solutions… La tête d'homme s'absorbe dans la collection de solutions et de problèmes, et son âme atavique n'exhibe plus le moindre mystère.

russell b.
Logic gives the method of research in philosophy, just as mathematics gives the method in physics.

La logique donne une méthode de recherche à la philosophie, exactement comme la mathématique à la physique.
La mathématique est la seule représentation de la réalité à confirmation immédiate ; elle en est l'ontologie, son fond divin et sa forme humaine. La philosophie en est la forme poétique : traduire le bruit en musique. La logique y est pour peu, comme la grammaire - en poésie. Devant l'entrée de l'édifice philosophique, on devrait écrire : interdit aux non-musiciens.

russell b.
Mathematics possesses a beauty cold and austere, like that of a sculpture, sublimely pure, such as only the greatest art can show.

La mathématique a cette beauté, froide et austère, telle une sculpture, d'une sublime pureté, que seul un grand art est capable de produire.
Pour animer ces Galatée, le cerveau doit déjà posséder de bons interprètes de mélodies et de bons prismes de couleurs.

russell b.
The sense of being more than Man is to be found in mathematics as surely as in poetry.

La mathématique, avec autant de force que la poésie, donne la conscience d'être plus que l'homme.
C'est de ce côté-là que le surhomme aurait dû chercher son excellence ! L'intensité de l'harmonie extérieure rencontrant l'intensité de la conscience intérieure, dans le sentiment d'un grand retour du même : la recherche du vrai mathématique dans le réel coïncidant avec celle du beau poétique dans l'imaginaire.

péguy ch.
Dis-moi comment tu traites le présent, et je te dirai de quelle philosophie tu es.
Le présent n'a pas la dimension du passé ou de l'avenir et doit être traité de point, non pas de point d'arrivée ou de départ, mais de point dont s'évalue toute circonférence digne d'être observée. Les horizons, pour donner du vertige, doivent être hauts.

rilke r.-m.
Wir : Zuschauer, immer, überall, dem allen zugewandt und nie hinaus !

Nous sommes le regard, toujours, partout : tournés vers tout sans y être !
Être Ouvert, ce n'est pas seulement tendre vers mes propres limites, mais aussi reconnaître, ravi, que celles-ci ne m'appartiennent pas, je n'y suis pas. L'intérêt de l'axe clos-ouvert est montré par la facilité, avec laquelle Rilke proclame ouvert - l'animal, et clos - l'homme. Pourtant, toute frontière de l'animal lui appartient et fait partie de son monde.

hesse h.
Ein Baum spricht : in mir ist ein Kern, ein Funke, ein Gedanke verborgen.

L'arbre annonce : je recèle le fond, l'étincelle et la pensée.
Les hommes de surfaces, de lampes et de recettes, ne t'entendent plus.

churchill w.
The farther back you can look, the farther forward you are likely to see.

Plus loin en arrière on regarde, plus loin en avant on peut voir.
Les sots s'intéressèrent toujours aux projections horizontales. La meilleure leçon du passé serait de faire pencher le regard vers la verticalité. Et je comprendrai, que mon chemin vaut par sa projection verticale, la hauteur, tandis que le savoir, cette projection horizontale, sera toujours trop court.

einstein a.
Das Ziel jeder Tätigkeit des Intellekts ist es, ein Wunder in etwas zu verwandeln, was man begreifen kann.

Le but de toute intelligence est de transformer un miracle en quelque chose de compréhensible.
On finit par se contenter de choses comprises et on ne voit plus de miracles. L'intelligence, d'une industrie secondaire de transformation passa au tertiaire, à l'assurance-vie.

einstein a.
Freude am Schauen und Begreifen ist die schönste Gabe der Natur.

La joie de contempler et de comprendre est le plus beau don de la nature.
Ces deux dons - le mystère du soi inconnu et la créativité du soi connu – sont des dons de la culture. Savoir fermer les yeux et se passer de raison est un don de la nature.

bachelard g.
En ce temps du lointain savoir, où la flamme faisait penser les sages, les métaphores étaient de la pensée.
Les sages d'aujourd'hui sont handicapés de métaphores, mais bardés de prothèses - outils, méthodes, approches - pour fréquenter les quatre éléments qui te fascinent : le feu des polémiques professorales, l'eau d'un langage argotique, l'air des idoles, la terre basse de leurs horizons.

pessõa f.
Je passe ma vie à me demander si je suis profond, sans autre sonde que mon regard.
Tu te trompes d'outil : le regard ne sert que pour mesurer la hauteur. Pour la profondeur, suffisent des balances ou des mémoires.

musil r.
Ein Denker ist um so denkender desto er dichtender ist.

Plus le penseur poétise, plus il est penseur.
La philosophie est un petit chapitre dans le livre de la poésie. Seuls les charlatans en logique, psychologie ou linguistique le nient.

heidegger m.
Das dichtend Gesagte und das denkend Gesagte sind zuweilen das Selbe, wenn die Kluft zwischen Dichten und Denken rein klafft, während das Erste hoch und das Zweite tief sind.

Le poète et le penseur disent parfois la même chose, lorsque l'abîme entre poésie et pensée reste béant ; ce qui arrive, quand la poésie est haute et la pensée profonde.
« Sur des sommets séparés à jamais, s'interpellent le poète et le penseur »* - Hölderlin - « Der Dichter und der Denker winken einander zu, auf getrenntesten Bergen ». Et pour préserver le béni néant volumique, on y adjoindra une étendue nulle, par compression du devenir au profit de l'être, dans un Retour Éternel de l'Un broyant le temps discriminateur.

heidegger m.
Philosophieren heißt nichts anderes als Anfänger zu sein.

Philosopher ne signifie pas autre chose qu'être aux commencements.
C'est être fasciné par le premier pas, débuter en miracle et dé-buter, détacher du but, l'enchaînement auto-suffisant des pas suivants. Se rebuter devant tout dernier pas imposteur. Confiée aux professionnels, la philosophie devient indiscernable du chamanisme verbal.

heidegger m.
Der intuitus ist die höchste Stufe der Analysis, der cogitatio adaequata.

Intuitus est l'étape suprême de l'analyse, de la cogitatio adaequata.
Deux sortes d'intuition : en création de modèles, en attribution de leur sens - affaire d'experts, affaire de décideurs ou de philosophes.

heidegger m.
Hinsehen auf, Begreifen von, Wählen, Zugang zu sind Seinsmodi eines Seienden, des Seienden, das wir, die Fragenden, je selbst sind.

Viser, entendre, choisir, accéder sont des modes d'être d'un étant, de cet étant que nous, qui questionnons, sommes nous-mêmes.
Dans le questionneur et dans le questionné, il faudrait signaler, en plus, deux machines distinctes : dans le premier - l'intuition du modèle et la maîtrise langagière, dans le second - la maîtrise du modèle et l'automatisme de l'interprète-substituteur. L'homme est une combinaison de ces trois machines. Il n'est pas possible que la requête même soit l'être ; elle est toujours sociale et n'est qu'une modulation langagière d'un penser discontinu de l'ego, qui est, tout de même, plus près du cogito pré-langagier que du sum pré-réflexif.

heidegger m.
Das Sein ist Ereignis geworden.

L'Être devint événement.
L'Être vivrait en monotonie des regards et requêtes et dans les métamorphoses événementielles. Exister se substitua à être ; de ens et bonum convertuntu on arrive à existentia et peccatum convertuntur. L'injoncture plus décisive que la conjoncture (Geschichlichkeit, Gestell).

heidegger m.
Wie abgründig verbirgt sich im wesenhaften Nichts der Reichtum des Seins.

Avec quelle abyssale profondeur la richesse de l'Être s'abrite dans le néant essentiel.
« C'est par le non-être que vous êtes devenu quelqu'un » - Plotin. Perdre le pied, c'est désencâbler les termes de l'Être, en les virtualisant dans une règle (néant), qui résume l'essence. Un soin du langage conceptuel, qui, à la représentation en dur, substituera un jour une interprétation en sûr. Une vision extraordinaire de l'intelligence … artificielle - l'existence éphémère des choses le temps d'un déclenchement de règles !

heidegger m.
Das Dasein gibt sich, mit der Welt, einen ursprünglichen Anblick, der nicht eigens erfaßt und als Vor-bild für alles Seiende fungiert.

L'homme acquiert, par le monde, un regard primordial, qui ne perçoit pas par lui-même, mais sert de prototype pour tout étant.
Le vrai choix philosophique, ici, est entre par le monde et par ta divine essence (la confusion entre les deux donnerait le soi). J'ai peur que le monde ne réduise le regard à la doxa ; le regard est la liberté face au monde ; la perception étant affaire des sens et de la raison serviles. Le contraire du regard s'appelle néant, ce séjour des esclaves, dans lequel ce lourd sophiste de Sartre voit un enfant de la liberté !

wittgenstein l.
Die Tatsachen gehören alle nur zur Aufgabe, nicht zur Lösung.

Les faits appartiennent, tous, au problème et non à la solution.
Ils n'appartiennent ni à l'un ni à l'autre ; ils sont au cœur d'une représentation, par-dessus laquelle se construit un langage, dans lequel se formule le problème, et dont la solution est apportée par une interprétation s'appuyant sur les faits.

wittgenstein l.
Der Philosoph behandelt eine Frage wie eine Krankheit.

En philosophie une question se traite comme une maladie.
Et il y a, en philosophie, des experts en diagnostic - sociologues de tempérament, des spécialistes en pharmacopées - politiciens du geste, des gribouilleurs des histoires de maladies - chroniqueurs d'esprit. Quand on comprend, que le mal axial est incurable, on se détourne de la posologie désespérée et se voue à la nosologie pleine d'espérances. « Il en est qui laissent des poisons, d'autres - des remèdes. Difficiles à déchiffrer. Il faut goûter » - R.Char - chez les deux on subodore la fleur originelle, chez les autres - la grisaille des ordonnances ou des testaments.

wittgenstein l.
Die Philosophie läßt alles, wie es ist.

La philosophie laisse toute chose comme elle est.
Fouiller les attributs des choses est, en effet, le souci des sciences. Mais en manipuler des points d'attache, en les ramenant à l'homme, est une tâche philosophique. Tout attouchement est un événement avec onde de choc. Les structures et la logique se complètent merveilleusement : objectivité logique et structures anthropologiques.

pasternak b.
Прирожденный талант есть детская модель вселенной.

Un talent inné, c'est un modèle de l'enfance de l'univers.
Les médiocres portent, dans leur misérable raison, une vague projection du monde d'aujourd'hui ; l'homme de génie préserve dans son âme l'état du monde au moment de sa création.

pasternak b.
Предметы приходят как лирические неизвестные, как лирические задачи к субъекту творчества. Существуют не предметы, а задачи. Предметы же есть лишь выполненные задачи.

Le sujet créateur perçoit les objets comme des inconnues ou problèmes lyriques. Pour lui, ce ne sont pas les objets qui existent, mais bien les problèmes. Les objets ne sont que des problèmes résolus.
Le lyrisme est peut-être ce qui, le mieux, apporte au problème un scintillement du mystère, et à la solution - un chatoiement du problème.

pasternak b.
Художественное дарование : видеть так, как все прочие думают, и думать так, как все прочие видят.

Le talent d'un artiste : voir comme les autres pensent et penser comme les autres voient.
Ses pensées doivent être malléables, mais ses vues - avoir la substance irréductible des syllogismes en bronze. Formuler des pensées, éprouver des sentiments, c'est banal ; il faut mettre en forme musicale ses sentiments et éprouver, par des contraintes de plus en plus exigeantes, - le fond de ses pensées.

char r.
Où l'esprit ne déracine plus, mais replante et soigne, je nais.
L'esprit devrait savoir justifier toutes les saisons de l'arbre, de la graine au déracinement. « Le dégustateur pense que l'arbre se dévoue aux fruits, tandis que celui-ci se voit en graine »*** - Nietzsche - « Jeder Geniessende meint, dem Baume habe es an der Frucht gelegen ; aber ihm lag am Samen ». Et même en saison morte les emplois de l'arbre sont respectables : ne plus être du feu, mais du bois.

deleuze g.
L'interprète, c'est le médecin qui considère les phénomènes comme des symptômes et parle par aphorismes. L'évalueur, c'est l'artiste qui considère les perspectives et parle par poèmes. Le philosophe est artiste et médecin - en un mot, législateur.
Ce Lycurgue crée des lois, en chantant l'incurable, en n'opérant que les plaies pittoresques, en vivant de l'étouffement naturel et en peignant la respiration artificielle.

deleuze g.
La différence ne peut être qu'entre deux sortes d'idées : celle des termes et celle des relations.
D'après ce docte critère d'intelligence la machine a déjà largement dépassé ces hommes, fascinés par le robot. C'est hors toute géométrie projective que se situe la vraie différence : entre le haut discret et le bas continu.

deleuze g.
Penser avec ET, au lieu de penser EST.
La précédence syntaxique met bien en avant la platitude des ET, mais la profondeur sémantique débute avec les bigarrures des EST.

deleuze g.
Contrairement à l’arbre de la raison, les pensées-rhizomes ne reconnaissent aucun sur-codage unificateur.
Si je suis fermé à l'unification, c'est que je n'offre aucune variable ou inconnue au regard d'autrui. Quel est l'autre nom de la pensée fixe, surchargée de constantes, accrochée à la vie, au ras du sol ? - l'ennui ou l'indifférence.

weil s.
L'intelligence ne peut jamais pénétrer le mystère, mais elle peut et peut seule rendre compte de la convenance des mots, qui l'expriment.
L'intelligence est dans la qualité du dialogue entre le mystère et le modèle. Les mots sont une navette intelligente.

weil s.
L'intelligence n'a rien à trouver, elle a à déblayer.
L'intelligence, en quête de trouvailles, creuse le sol ou scrute le ciel. Elle déblaie les solutions, érige les problèmes, sanctifie les mystères. Pour chaque trésor trouvé et engrangé, elle rédige les titres de propriété, dont profite aussi, hélas, la bêtise.

weil s.
Le monde est un texte à plusieurs significations, et l'on passe d'une à l'autre comme lorsqu'on apprend l'alphabet d'une langue étrangère.
Au-dessus du monde l'âme en bâtit un modèle. Ce modèle sous les yeux, l'intelligence construit un langage. La perfection, la représentation, la communication. La bêtise répandue, c'est attribuer à la dernière les mérites des deux premières.

weil s.
Une pensée nouvelle en philosophie ne peut guère être qu'un accent nouveau d'une pensée antique.
L'Antiquité nous a munis de mesures et de thèmes, mais dans une partition vitale, dans une véritable musique, ce qui compte ce sont les accents, ces cordes vibrantes, nouvellement tendues, d'une voix inimitable. Le sens de la vie, s'il existe, ne peut être que sa mélodie, sa hauteur ou son harmonie, qui ne sont pensables que dans le présent.

weil s.
L'incompris cache l'incompréhensible, et pour ce motif doit être éliminé.
L'intelligence est bien ce chiffon, qui nettoie la vitre en deçà de notre transparence. L'incompréhensible est non seulement au-delà de la vitre, mais il n'y colle pas.

lec s.
Il possédait des connaissances, mais il ne les fécondait pas.
C'est pourquoi il en divorçait sans peine. Il ne renonçait aux contraceptifs de l'ironie qu'avec ses maîtresses, des émotions trop fertiles.

lec s.
Les idées de fond qu'on n'arrive pas à traduire de leur langue maternelle dans une autre ne possèdent aucune charge d'humanisme. Ce sont des incantations tribales.
La faute en incombe souvent à la sous-tribu de traducteurs, qui devraient se tenir à l'entrée de la caverne humaniste plutôt qu'à la sortie de la caserne élitiste.

cioran é.
La mystique est une évasion hors de la connaissance, le scepticisme une connaissance sans espoir. Deux manières de dire que le monde n'est pas une solution.
Avant la connaissance il y a l'intuition - le problème, avant l'intuition il y l'élan - le mystère. Deux manières à ne pas se désenvoûter faute de solutions. « La mystique n'est pas un secret, qui nous introduit dans un autre monde, elle est le secret de vivre autrement dans ce monde » - Musil - « Die Mystik ist kein Geheimnis, durch das wir in eine andere Welt eintreten ; sie ist das Geheimnis, in unserer Welt anders zu leben ».

cioran é.
L'esprit n'avance que s'il a la patience de tourner en rond, c'est-à-dire d'approfondir.
La spirale est la forme exacte de cet approfondissement. Et l'éternel retour - la préférence de la hauteur permanente, où la clarté passagère est de la lâcheté. La pire des reculades est le choix du droit chemin. « La peste de l'homme, c'est l'opinion de sçavoir »** - Montaigne.

cioran é.
Toute idée féconde dégénère en croyance. Il n'est guère qu'une idée stérile qui conserve son statut d'idée.
Une certaine fécondité d'une idée consiste à en tolérer, que dis-je, à en inviter des falsifications. L'idée est belle tant que des maternités d'articles de foi, à répétitions, ne la défigurent.

steiner r.
Philosophy is the music of thought.

La philosophie est la musique de la pensée.
Mais ce n'est pas la pensée toute prête qu'on mette en musique, c'est la fidélité à la musique de l'être (de la poésie - Heidegger) et le sacrifice du hasard des faits qui aboutissent à de la pensée, pensée haute, à rapprocher de : « La philosophie est la musique de la hauteur »** - Socrate. Le contraire de l'esprit et de la musique est le hasard et la bassesse.